« Nos artistes en confinement continuent de créer. Chacun dans leur univers… Nous le partageons avec vous.
Aujourd’hui, Jean-Christophe Pagès, auteur et metteur en scène de la compagnie, co-fondateur du Géant noir. Texte écrit les 4 et 5 mai derniers, en confinement. Lu par Thierry Bilisko. »
Quiets
Comme y avait plus rien, c’était bien. On était là, on était toujours là, mais y avait plus rien. On attendait. On faisait rien, c’était bien. On s’asseyait tous les matins au même endroit, à la même heure ou presque et le rien commençait. On était toujours là. On attendait sans espérer. C’était bien le rien. On y arrivait comme ça, longtemps. On mettait nos pieds bien à plat et le dos collé. Rien d’autre. Fallait s’y faire. On était bien. Pas embarrassés. On s’extirpait quand même pour venir. C’est-à-dire qu’on traînait un peu. Des fois, on aurait préféré pas bouger. Juste là debout, impressionnés. A perte de vue, plus rien. Pas même nous. On était toujours là, mais absents. On se voyait plus faire. Valait mieux pas se regarder attendre rien. On aurait été moches. Droits, perdus dans le plat. Sans doute. Alors on s’asseyait. On avait quand même une chaise. Et les mains posées.
Ça devait pas arriver
Ça pouvait pas arriver
C’est arrivé
Tous les matins, on avait arrêté d’espérer. Fallait s’y faire. Au début, on aurait voulu se lancer sans attendre. Ça aurait été bien. Jusqu’au sifflement. On a commencé à se dire que c’était pas nous. On voyait bien. Les têtes là, droites. Les têtes rigides. On avait plus de cou. Au même endroit. Fallait tenir. Engourdis mais tranquilles. C’était vraiment bien. Sauf le dos qui dégustait. Si on se mettait mal, si on s’installait trop vite. On y était pas. Position pour tenir. A la même heure ou presque. Bien collés. On avait de la chance. Des fois, on aurait préféré se planter debout au milieu. Et sécher.
C’est arrivé
Pas arrivé
Ça arrivera pas
On y voyait pas toujours très bien. C’est-à-dire de là à là, ça allait encore. Mais après c’était moins net. On s’embrouillait. On aimait quand même le début du rien chaque matin. C’était doux. D’autres fois, on aurait voulu être là pour se voir. Valait mieux pas. Mais c’était déjà l’heure. On devait passer par-dessus l’ahurissement. Fermer la bouche.
Pas arrivé
Ça arrivera pas
Comme y avait plus rien, on répétait. On s’entraînait. On sentait les absents. On était pas vraiment là mais les autres non plus. On rechignait pas. Mains posées. Aussi, se positionner dans la bonne direction. Sinon gare. On se souvenait des bons moments.
Ça pouvait pas
On prenait l’air. On pouvait tenir longtemps. Jusque tard dans la journée. On était pas embarrassés. Une fois, c’est arrivé. On sait plus très bien. On aurait aimé se boucher les oreilles. »
Jean-Christophe Pagès
4-5 mai 2020